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samedi 29 janvier 2011

Réflexions sur la réécriture autour d' Homère, préparer le bac de français

Atelier de théorie littéraire : Récriture et réévaluation



o Toutes les œuvres se prêtent-elles au même titre à des récritures, ou faut-il supposer que certaines œuvres étaient " prédestinées " à des exercices de dérivation ? Existe-t-il des textes qui rendent d'emblée possibles (ou même invitent à) leur transformation hypertextuelle, ou doit-on penser que la récriture est toujours une décision de lecture, qui incombe au seul auteur second, et qu'elle se confond donc finalement avec une forme de commentaire du texte premier ?
o La question intéresse aussi bien la problématique de l'intertextualité que celle de l'autorité (du texte comme de l'auteur) : réécrire un texte, est-ce lui reconnaître une autorité qui préexiste (ou qui préside) à toute transformation, ou est-ce la lui conférer en retour ?

o On trouvera ici réunies trois brèves séries de réflexions théoriques sur les phénomènes de réévaluation qui accompagnant les récritures : c'est dire que le problème engage aussi la conception que l'on peut se faire de l'histoire littéraire.


Quelques réflexions extraites des Métamorphoses d'Ulysse par Agathe Antanaclaz, GF-Flammarion, 2003 (p. 17-1Cool

Toutes les réécritures posent finalement la question du statut du texte source : qu'est-ce qui fait qu'un texte est amené à en fonder d'autres ? Les réponses sont à chercher à la fois en amont et en aval de la rédaction du texte initial. D'une part on peut s'interroger sur ce qui, dans l'Odyssée par exemple, a pu être la source de tant de réécritures. Y a-t-il, dans le texte même d'Homère, des éléments absents d'autres œuvres littéraires, qui l'auraient en quelque sorte destiné à être tant de fois réécrit ? Cette question amène à considérer l'œuvre sous l'angle des possibles qu'elle contient en germe, sans les actualiser. Les manques et ellipses du texte premier apparaissent dans cette perspective comme des signaux à l'intention des écrivains futurs, invités à combler ces lacunes. La richesse de l'Odyssée est évidente sur ce point : par exemple, rien n'est dit sur les sentiments de Pénélope durant les vingt ans où elle attend son époux ; de même, la multiplicité des versions proposées par Ulysse de ses propres aventures semble inviter à poursuivre le tissage infini de ses narrations. On peut ainsi considérer que le texte initial se pose comme fondateur dans la mesure où il se désigne lui-même, par l'intermédiaire des possibles qu'il suggère en creux, à une réécriture à venir. D'autre part, le caractère fondateur d'un texte peut résulter d'une détermination a posteriori : est qualifiée de fondatrice une œuvre qui a été déjà source de réécritures multiples. Dans ce cas, c'est la réécriture elle-même dont l'aura ou l'autorité rejaillit par contrecoup sur le texte source. Ainsi, on peut dire que ce sont aussi les variantes de La Fontaine ou de Molière qui ont fait d'Ésope ou de Plaute des références dans l'histoire de la littérature française, car ils sont respects comme des précurseurs de nos classiques. De même la réécriture peut autoriser de nouvelles interprétations du texte originel, et raviver par là l'intérêt qu'on lui porte ; Joyce ou Giono ont fondé leur propre version de l'Odyssée sur la question de la validité et de la vérité de la parole fictionnelle, inscrivant ainsi l'œuvre antique dans des problématiques qui sont au centre de la réflexion littéraire du XXe siècle. La réécriture ne s'impose plus ici comme un moyen de reconnaître l'autorité d'un texte antérieur, mais de la lui conférer en la définissant : par un mouvement rétrospectif, le texte second fait du premier un texte fondateur, influent sur la façon dont désormais il sera lu. On entrevoit ici une des potentialités du travail de réécriture, qui apparaît non plus comme une marque de l'influence du passé sur le présent littéraire, mais du présent (ou de l'avenir) sur les œuvres passées.


Une remarque de Gérard Genette dans Palimpsestes, Le Seuil, 1982 (rééd. coll. " Point ", p. 246-247)

Avec tout cela, l'Odyssée est bien cependant une œuvre hypertextuelle, et, symboliquement, la première en date que nous puissions pleinement recevoir et apprécier comme telle. Son caractère second est inscrit dans son sujet même, qui est une sorte d'épilogue partiel de l'Iliade, d'où ces renvois et allusions constants, qui supposent clairement que le lecteur de l'une doit avoir déjà lu l'autre. Ulysse lui-même est constamment dans une situation seconde : on parle sans cesse de lui devant lui sans le reconnaître, et chez les Phéaciens il peut entendre ses propres exploits chantés par Démodokos, ou bien il raconte lui-même ses aventures, si bien qu'une grande part de l'œuvre (récits chez Alkinoos) est comme rétrospective à l'égard d'elle-même : en fait, l'essentiel de ce qui traite des aventures d'Ulysse proprement dites, le reste en étant plutôt comme l'épilogue : retour et vengeance finale. Et ce récit à la structure complexe et comme tournoyante pose quelques problèmes de jointure : nous avons deux récits du séjour chez Calypso, du départ et de la tempête (au chant V par Homère, au chant XII par Ulysse), et nous avons failli en avoir un troisième au chant XII, à la fin du récit d'Ulysse ; cette insistance rend l'épisode omniprésent, et provoque d'avance sa reprise par Fénelon — comme le voyage de Télémaque, qui amorce lui aussi un redoublement de l'action. Ajoutons-y les diverses occasions où Ulysse déguisé raconte des aventures imaginaires et se mentionne lui-même comme un autre qu'il aurait connu. Et les épisodes annoncés par prophétie (Protée, Tirésias, Circé), et donc encore racontés deux fois — d'où une certaine confusion narrative qui trouble et disloque notre mémoire du récit (" où se trouve tel épisode ? "), et qui fait un peu plus qu'autoriser les reprises ironiques, soupçonneuses, volontairement vertigineuses d'un Giraudoux, d'un Joyce, d'un Giono, d'un John Barth. L'Odyssée n'est pas pour rien la cible favorite de l'écriture hypertextuelle.



Un extrait de Lupus in fabula. Six façons d'affabuler La Fontaine, par Marc Escola, Presses Universitaires de Vincennes, 2004 (p. 240)


Il n'est pour les textes littéraires que deux façons d'assurer leur pérennité : leur constitution en hypotexte qui les fait revivre dans un hypertexte, le renouvellement de leur signification dans des interprétations neuves. On voit mal qu'on puisse distinguer rigoureusement les deux dynamiques, au prétexte que l'une relève de " la littérature " et requiert d'authentiques " auteurs " tandis que l'autre intéresse la " réception " et demande seulement de rigoureux interprètes. Ces deux procès sont en réalité étroitement solidaires : réécritures et commentaires s'élaborent dans un espace commun — celui des possibles du texte source. Ne peut-on imaginer de traiter dans les mêmes termes les transformations hypertextuelles et les transformations métatextuelles — comme autant de variantes délivrées dans le texte considéré ? Commenter un texte ou le réécrire, c'est toujours instituer autour de lui le complexe statique des textes possibles dont le libre jeu ouvre le texte à l'historicité : ses sources avérées ou les textes dont il se souvient simplement, les possibles qu'il écarte ou ceux qu'il ménage au profit d'autres textes encore à naître, mais aussi les textes à venir et la série des commentaires auxquels il pourra donner lieu et qui viseront à faire lever dans sa lettre le texte d'un autre texte.


Quelques réflexions extraites des Métamorphoses d'Ulysse par Agathe Antanaclaz, GF-Flammarion, 2003 (p. 17-1Cool
Toutes les réécritures posent finalement la question du statut du texte source : qu'est-ce qui fait qu'un texte est amené à en fonder d'autres ? Les réponses sont à chercher à la fois en amont et en aval de la rédaction du texte initial. D'une part on peut s'interroger sur ce qui, dans l'Odyssée par exemple, a pu être la source de tant de réécritures. Y a-t-il, dans le texte même d'Homère, des éléments absents d'autres œuvres littéraires, qui l'auraient en quelque sorte destiné à être tant de fois réécrit ? Cette question amène à considérer l'œuvre sous l'angle des possibles qu'elle contient en germe, sans les actualiser. Les manques et ellipses du texte premier apparaissent dans cette perspective comme des signaux à l'intention des écrivains futurs, invités à combler ces lacunes. La richesse de l'Odyssée est évidente sur ce point : par exemple, rien n'est dit sur les sentiments de Pénélope durant les vingt ans où elle attend son époux ; de même, la multiplicité des versions proposées par Ulysse de ses propres aventures semble inviter à poursuivre le tissage infini de ses narrations. On peut ainsi considérer que le texte initial se pose comme fondateur dans la mesure où il se désigne lui-même, par l'intermédiaire des possibles qu'il suggère en creux, à une réécriture à venir. D'autre part, le caractère fondateur d'un texte peut résulter d'une détermination a posteriori : est qualifiée de fondatrice une œuvre qui a été déjà source de réécritures multiples. Dans ce cas, c'est la réécriture elle-même dont l'aura ou l'autorité rejaillit par contrecoup sur le texte source. Ainsi, on peut dire que ce sont aussi les variantes de La Fontaine ou de Molière qui ont fait d'Ésope ou de Plaute des références dans l'histoire de la littérature française, car ils sont respects comme des précurseurs de nos classiques. De même la réécriture peut autoriser de nouvelles interprétations du texte originel, et raviver par là l'intérêt qu'on lui porte ; Joyce ou Giono ont fondé leur propre version de l'Odyssée sur la question de la validité et de la vérité de la parole fictionnelle, inscrivant ainsi l'œuvre antique dans des problématiques qui sont au centre de la réflexion littéraire du XXe siècle. La réécriture ne s'impose plus ici comme un moyen de reconnaître l'autorité d'un texte antérieur, mais de la lui conférer en la définissant : par un mouvement rétrospectif, le texte second fait du premier un texte fondateur, influent sur la façon dont désormais il sera lu. On entrevoit ici une des potentialités du travail de réécriture, qui apparaît non plus comme une marque de l'influence du passé sur le présent littéraire, mais du présent (ou de l'avenir) sur les œuvres passées.


Une remarque de Gérard Genette dans Palimpsestes, Le Seuil, 1982 (rééd. coll. " Point ", p. 246-247)
Avec tout cela, l'Odyssée est bien cependant une œuvre hypertextuelle, et, symboliquement, la première en date que nous puissions pleinement recevoir et apprécier comme telle. Son caractère second est inscrit dans son sujet même, qui est une sorte d'épilogue partiel de l'Iliade, d'où ces renvois et allusions constants, qui supposent clairement que le lecteur de l'une doit avoir déjà lu l'autre. Ulysse lui-même est constamment dans une situation seconde : on parle sans cesse de lui devant lui sans le reconnaître, et chez les Phéaciens il peut entendre ses propres exploits chantés par Démodokos, ou bien il raconte lui-même ses aventures, si bien qu'une grande part de l'œuvre (récits chez Alkinoos) est comme rétrospective à l'égard d'elle-même : en fait, l'essentiel de ce qui traite des aventures d'Ulysse proprement dites, le reste en étant plutôt comme l'épilogue : retour et vengeance finale. Et ce récit à la structure complexe et comme tournoyante pose quelques problèmes de jointure : nous avons deux récits du séjour chez Calypso, du départ et de la tempête (au chant V par Homère, au chant XII par Ulysse), et nous avons failli en avoir un troisième au chant XII, à la fin du récit d'Ulysse ; cette insistance rend l'épisode omniprésent, et provoque d'avance sa reprise par Fénelon — comme le voyage de Télémaque, qui amorce lui aussi un redoublement de l'action. Ajoutons-y les diverses occasions où Ulysse déguisé raconte des aventures imaginaires et se mentionne lui-même comme un autre qu'il aurait connu. Et les épisodes annoncés par prophétie (Protée, Tirésias, Circé), et donc encore racontés deux fois — d'où une certaine confusion narrative qui trouble et disloque notre mémoire du récit (" où se trouve tel épisode ? "), et qui fait un peu plus qu'autoriser les reprises ironiques, soupçonneuses, volontairement vertigineuses d'un Giraudoux, d'un Joyce, d'un Giono, d'un John Barth. L'Odyssée n'est pas pour rien la cible favorite de l'écriture hypertextuelle.



Un extrait de Lupus in fabula. Six façons d'affabuler La Fontaine, par Marc Escola, Presses Universitaires de Vincennes, 2004 (p. 240)
Il n'est pour les textes littéraires que deux façons d'assurer leur pérennité : leur constitution en hypotexte qui les fait revivre dans un hypertexte, le renouvellement de leur signification dans des interprétations neuves. On voit mal qu'on puisse distinguer rigoureusement les deux dynamiques, au prétexte que l'une relève de " la littérature " et requiert d'authentiques " auteurs " tandis que l'autre intéresse la " réception " et demande seulement de rigoureux interprètes. Ces deux procès sont en réalité étroitement solidaires : réécritures et commentaires s'élaborent dans un espace commun — celui des possibles du texte source. Ne peut-on imaginer de traiter dans les mêmes termes les transformations hypertextuelles et les transformations métatextuelles — comme autant de variantes délivrées dans le texte considéré ? Commenter un texte ou le réécrire, c'est toujours instituer autour de lui le complexe statique des textes possibles dont le libre jeu ouvre le texte à l'historicité : ses sources avérées ou les textes dont il se souvient simplement, les possibles qu'il écarte ou ceux qu'il ménage au profit d'autres textes encore à naître, mais aussi les textes à venir et la série des commentaires auxquels il pourra donner lieu et qui viseront à faire lever dans sa lettre le texte d'un autre texte.



Marc Escola

http://www.fabula.org/atelier.php?R%26eacute%3Bcriture_et_r%26eacute%3B%26eacute%3Bvaluation

 

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